Il n’est pas facile de faire un bon cadeau.
En première analyse, le meilleur cadeau est celui qu’aurait choisi
le destinataire.
Mais ce dernier sait mieux que vous ce qui est bon pour lui.
C'est pourquoi les cadeaux se révèlent souvent mal adaptés aux préférences
de ceux qui les reçoivent.
Dans la mesure où un meilleur choix était possible, il y a là une perte
sèche du point de vue des consommateurs.
L'économiste Joel Waldfogel a traité cette question dans un article
célèbre de l’American Economic Review, intitulé “The Deadweight Loss
of Christmas”.
Pour estimer l'importance de la perte sèche associée aux cadeaux de Noël (« the deadweight loss of Christmas »), Waldfogel a demandé à ses étudiants d’évaluer les présents qu'ils avaient reçus à Noël : d’une part, le prix payé par les donateurs; d’autre part, le prix qu’ils seraient prêts à payer pour avoir ces articles (1er questionnaire) ou qu'ils exigeraient pour les retourner, abstraction faite de leur valeur sentimentale (2ème questionnaire). Comme prévu, il ressort du sondage que les cadeaux de Noël coûtent beaucoup plus à ceux qui les donnent qu'ils ne valent pour ceux qui les reçoivent.
La perte sèche de Noël représente entre un dixième (estimation basse) et un tiers (estimation haute) de la valeur des cadeaux reçus (tableau 1).
Si l’on généralise ces résultats à la masse des cadeaux échangés chaque année aux Etats-Unis, ce sont des milliards de $ qui sont ainsi gaspillés.
Un économiste conséquent doit-il renoncer à faire des cadeaux ? Pas nécessairement.
Faire un cadeau est souvent plus efficient qu’il n’y paraît de prime abord.
Ceci explique que les grands parents soient les plus nombreux à préférer donner de l’argent (42 % de leurs dons se font en espèce contre 10 % de la part des parents et 0 % de la part du petit ami).
Après tout, le cadeau idéal est celui qui vous fait découvrir un univers passionnant que vous ne soupçonniez pas. Pour vos amis, cela suppose de deviner chez vous des préférences latentes, qui ne demandaient qu'à être révélées. Avec le risque de tomber à côté... Tel ami bien intentionné vous offre ce Noël une super compilation de musique tibétaine, en faisant le pari qu'il réussira à vous faire aimer ça. Peine perdue ! Quelques années plus tôt, le même ami vous avait offert le premier volume de la correspondance de Flaubert dans La Pléiade et votre vie en fut changée. Cela signifie qu'un cadeau peut être ponctuellement inefficient mais, les bonnes surprises compensant les mauvaises, il n'y a pas de perte sèche à long terme. Ajoutons qu'il y a des articles que l'on aime bien recevoir mais qu'on ne peut se résoudre à acheter, ce qui pourrait expliquer le succès des boites de chocolat à Noël.
Un cadeau est un signal qui permet de communiquer à une personne que l’on pense à elle, que l’on se soucie d’elle, et qu’on veut lui faire plaisir.
Dans cette perspective, offrir de l’argent liquide à un proche, a fortiori à sa petite amie, serait complètement inefficient...
Du point de vue du donateur, cette innovation présente l'intérêt de réduire considérablement les coûts de transaction : plus besoin de courir les grands magasins, ni de se creuser la tête pour chercher un cadeau personnalisé. Pour ces raisons, deux Américains sur trois y ont recours -- la National Retail Federation évalue à près de vingt-cinq milliards de $ le montant dépensé en gift-cards pour Noël 2006, en hausse de 34 % par rapport à Noël 2005.
Outre qu'ils s’apparentent à un prêt sans intérêt que les clients consentent au commerçant (selon Marketing Workshop, 30 % seulement utilisent leur bon dans le mois suivant sa réception), il arrive qu'ils ne soient jamais utilisés (TowerGroup évalue à 8 milliards de $ le gain pour les détaillants, soit 10 % de la valeur totale des cartes émises en 2006). Qui plus est, leurs bénéficiaires ont tendance à dépenser bien au delà de la valeur du bon.
Bref, elle est pauvre en sentiment. Or, s’agissant de cadeaux, le sentiment est l’essentiel.
C'est toute la limite de l'enquête de Waldfogel (cf. supra), dont le questionnaire demandait aux étudiants de faire abstraction de la valeur sentimentale des présents reçus. Dans la réalité, le seul fait de donner ajoute une valeur sentimentale à la valeur marchande d'un article.
Une alliance ou une bague peuvent valoir beaucoup plus pour leur propriétaire que pour le bijoutier ; de même, un dessein offert par un enfant peut avoir une valeur inestimable pour ses parents.
Comme le montre ce dernier exemple, la valeur sentimentale d'un cadeau dépend moins de son prix que du temps (et du soin) qu'on lui a consacré.
La dépense de temps constitue ici un signal beaucoup plus puissant que
la dépense d'argent, en particulier quand le temps coûte cher, comme c'est
le cas pour un cadre supérieur.
Partant, substituer des cadeaux qui coûtent du temps à des cadeaux qui coûtent
de l'argent présente le double avantage de réduire la perte sèche de Noël
sans altérer la force du signal.
The gift right out, by James Surowiecki, The New Yorker, 25 décembre 2006
Is Santa a deadweight loss?, The Economist, Dec 20th 2001
Time and Communication in Economic and Social Interaction (pdf), by A. Michael Spence, Quarterly Journal of Economics, Vol. 87, No. 4. (Nov., 1973)