Doit-on continuer à faire des cadeaux à Noël, ou vaut-il mieux donner des sous ?
Sirpriz.com Faire connaissance en s'offrant des cadeaux
Doit-on continuer à faire des cadeaux à Noël, ou
vaut-il mieux donner des sous ?
Etude menée sur des élèves Source :
http://www.cafepedagogique.org/disci/ses/79.php#62
Les réponses des élèves révèlent la rationalité
cachée des cadeaux de Noël.
La principale surprise vient du fait que, pour la majorité des élèves,
les cadeaux de Noël n'occasionnent pas globalement de perte sèche.
Autrement dit, la valeur qu'ils attachent aux cadeaux qu’ils ont reçus
est supérieure à leur valeur marchande – c’est tout
particulièrement vrai des cadeaux offerts par les amis intimes.
Ce résultat inattendu me paraît suffire à justifier l’institution
des cadeaux de Noël.
Cela dit, les dons d'argent (et les cartes cadeaux) représentent tout
de même plus du tiers du butin de Noël. A l’analyse, la propension
à offrir du cash plutôt que des cadeaux augmente avec la distance
générationnelle et affective entre les acteurs. Ainsi, ce sont
les grands-parents, suivis des oncles et tantes, qui recourent le plus au don
d'argent. Dans la mesure où leurs cadeaux enregistrent le taux le plus
élevé de perte sèche, il est logique qu’ils recourent
davantage que les autres au don d’argent. Bref, il est plus efficient
pour eux de donner de l’argent que d’offrir des cadeaux.
S’agissant des intimes (petit ami, meilleur ami), c'est exactement le
contraire : la valeur que les élèves accordent à leurs
cadeaux est supérieure au prix qu'ils ont coûté -- on observe
alors un gain sec. Cela tient à la qualité du donataire, mais
aussi au soin particulier avec lequel le cadeau fut choisi, toutes choses qui
ajoutent une forte valeur affective à la valeur marchande de l'objet.
Pour comprendre pourquoi, on peut mobiliser avec profit la théorie du
signal de Michael Spence (Prix Nobel d'économie 2001). Soit deux amoureux
; ils aiment mais ne sont pas certains à 100 % d’être aimés
en retour. On a là une situation d’ « asymétrie d’information
». En pareil cas, faire un cadeau permet d’envoyer un signal fort,
de nature à rassurer l’être aimé quant à la
teneur de vos sentiments. Faire un bon cadeau est en effet très coûteux
; il faut y consacrer beaucoup de temps, ce qui suppose un engagement affectif
fort. « S’il m’aime vraiment, se dit la demoiselle, il choisira
forcément un bon cadeau, car s’il m’aime autant que je l’aime,
il pense forcément à moi tout le temps ; trouver un cadeau qui
me plait ne lui sera donc pas trop difficile ». Si, quand bien même,
notre homme ne voulait pas trop se casser la tête, il lui faudrait débourser
plus pour offrir un cadeau conventionnel mais luxueux – l’argent
permet, dans une certaine mesure, d’économiser du temps, mais si
l’on ne veut pas économiser ses sentiments, il faut alors dépenser
beaucoup d’argent...
La théorie du signal rend bien compte du fait, évident dans le
sondage, que les proches (les amis intimes toujours, les parents souvent) font
en général les meilleurs cadeaux. Mais elle explique aussi pourquoi
les parents et les grands parents peuvent, sans risque, offrir de l’argent
aux lycéens. C’est qu’on ne doute pas de l’amour de
ses parents. On est ici dans une situation d’ « information parfaite
», qui contraste avec l’incertitude intrinsèque de la relation
amoureuse. Le cadeau d’un parent n’a pas la même fonction
de signal que celui de sa petite amie (sauf peut-être quand le parent
en question a quelque chose à se faire pardonner). C’est pourquoi
il est beaucoup plus acceptable de donner de l’argent à ses enfants
qu’à sa petite amie.
S'agissant des pairs (les copains, les frères et soeurs), donner de
l'argent serait également inefficient, mais pour une autre raison : si
je donne 20 euros à chacun de mes copains pour qu'ils achètent
ce qui leur plaît, et si chacun me donne à son tour 20 euros pour
que j'achète ce qui me plait, l'opération cadeaux de Noël
est une opération blanche : on a eu beau donner et recevoir, il n'y a
rien sous le sapin ! Moyennant quoi, mieux vaut une perte sèche avec
des cadeaux, que pas de cadeaux du tout.
Pour finir, ce texte amène comme sur des roulettes la question anthropologique
du don.
Pourquoi fait-on des cadeaux ? Et d'abord, qu'est-ce qu'un don ?
il est manifeste que tous les cadeaux ne sont pas des dons, certains relevant
davantage de l'échange non marchand.
C'est le phénomène dit de Loss Aversion : les
gens sont plus sensibles aux pertes qu’aux gains.
Etude menée avec des lycéens
En l’espèce, les lycéens exigent, pour accepter de se défaire
d’un objet qu’ils possèdent, un prix plus élevé
que ce qu’ils seraient prêts à payer pour acheter cet objet
s’ils ne le possédaient pas.
Pour illustrer cette asymétrie, Richard Thaler a procédé
à une étonnante expérience avec ses étudiants. Il
leur a demandé de répondre à ces deux questions:
"1. En venant en cours aujourd'hui, vous avez été exposé
à une maladie très rare mais mortelle. La probabilité que
vous ayez contracté la maladie est de 1 pour mille. Si tel est le cas,
il vous reste moins d'une semaine à vivre, mais ce sera une mort paisible
et sans souffrance. Par bonheur, il existe un remède extrêmement
efficace, à condition de le prendre immédiatement. Le problème
est qu'au moment où je vous parle, on n'en connaît pas le prix.
Vous devez donc me dire tout de suite quel prix maximum vous êtes prêt
à payer. Si le remède s'avère coûter plus, vous ne
l'aurez pas. S'il coûte moins, on vous rembourse le trop perçu.
Combien êtes-vous prêt à payer pour ce remède ?
2. Nous avons besoin de bénévoles pour réaliser des expériences
scientifiques sur cette maladie. Les volontaires courront le risque de contracter
cette maladie, avec une probabilité évaluée à 1
pour mille. Combien faudrait-il vous payer pour que vous acceptiez de participer
à cette expérience ?"
Dans l'un et l'autre cas, le risque est exactement le même. Mais, dans
le premier scénario, les étudiants doivent décider quel
prix ils sont prêts à payer pour annuler un risque auquel ils ont
déjà été exposés, tandis que, dans le deuxième
scénario, ils doivent décider à quel prix ils sont prêts
à s'exposer volontairement à ce risque.
La réponse médiane des étudiants fut de 800 $ à
la 1ère question, et de 100 000 $ à la seconde ! "En général,"
commente Thaler, "les gens attachent un prix beaucoup plus élevé
à la conservation d’une chose qu'ils possèdent déjà
qu’à l’acquisition de cette même chose quand ils ne
la possèdent pas [dans cet exemple, leur bonne santé]." (cité
par Robert Frank, Luxury Fever, Princeton UP, 2000, traduction personnelle)
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